#Pour une poignée de pignons...

17/04/2021

...ou la véritable histoire des hommes-araignée.

Roberto GROSSI, vue des carrières de Vecchiano
Roberto GROSSI, vue des carrières de Vecchiano

En laissant mon regard se perdre dans ce tableau, je suis revenue au village natal de mon père : Vecchiano en Toscane, à un jet de pierre de Pise. Ce village si cher à mon cœur où j'ai passé tous les étés de mon enfance et de ma vie de jeune adulte. La blessure des collines d'où l'on arrachait la roche, le "castello" à son sommet sur lequel courraient des histoires terrifiantes, enfants on en frissonnait de peur et de délice, les prés en fleur, tout y est .

En m'immergeant encore plus dans cette toile je me rappelle de son auteur... mon cousin au deuxième degré: Roberto, l'infatigable compagnon de mésaventure de mon père, ils ont grandi ensemble, sont nés la même année, 1931. Roberto est le plus atypique membre de ma parentèle... simultanément ou successivement pêcheur au padule (marais) et en Bocca d'Arno Embouchure du fleuve Arno), peintre autodidacte de grand talent et... homme-araignée.

Domaine de San Rossore
Domaine de San Rossore
Récolteuses de pignons
Récolteuses de pignons
la pinède
la pinède

La récolte des pommes de pin

Pendant des décennies, les pins du domaine des Salviati (actuelle Tenuta de San Rossore) étaient escaladés par les scotitore : des hommes-araignée. Ce surnom leur venait de leur habileté et de leur agilité à grimper sur des pins de plus de 25 mètres, il y fallait aussi de la force physique et du courage. Roberto  fut l'un d'entre eux.

C'était un travail saisonnier qui  commençait au milieu de l'automne et se poursuivait tout l'hiver, même dans des conditions climatiques difficiles. Très tôt le matin toutes les équipe étaient à pied d’œuvre, souvent dans le froid.
En raison de la grande étendue de la pinède, la récolte pouvait se prolonger jusqu'au printemps, surtout si l'année était bonne et s'il n'y avait pas eu de Libecciate (vent du sud-ouest) ni de tempête.

Plusieurs équipes étaient formées et s'entendaient entre elles pour intervenir en différents lieux. La zone d'intervention était divisée en carrés qui partaient de l'est et finissaient vers la mer. Les équipes de grimpeurs étaient accompagnées de groupes de femmes  qui, elles, ramassaient et entassaient les pignes tombées. Les fruits récoltés étaient chargés sur des charrettes et envoyés à la pesée pour ensuite les livrer aux entreprises qui travaillaient les pignons. Les hommes-araignée étaient payés au poids récolté et les salaires assez élevés : la dangerosité du métier et les aptitudes que peu d'hommes possédaient à l'exercer le justifiait amplement.

Roberto s'aidait d'une longue échelle, d'une tige munie d'un crochet en fer à faucille, et de crampons. Il posait son échelle contre le pin et commençait son ascension. Arrivé aux premières branches il y fichait son grappin et s'élevait dans les airs, suspendu à ce mince bâton. Branche après branche, jusqu'au sommet il les secouait une à une jusqu'à ce que les pignes se détachent et tombent au sol .  

Quand toutes les pommes de pin d'un arbre avaient été récoltées, avec un cri d'avertissement, il passait à la branche d'un pin à proximité, parfois sans même descendre. On en frissonnait à le voire faire : ceux restés à terre l'implorait de descendre en se souvenant de ceux qui, en tombant, y avaient laissé la vie. Il était aussi de coutume pour les grimpeurs de nettoyer les pins des branches sèches qui entravaient les mouvements sur l'arbre. Les plus petites branches coupées étaient rassemblées en fagots par les femmes et ramenées à la maison.

À midi, tout le monde redescendait à terre et s'asseyait en cercle autour du feu préparé par les femmes. Fatigués, ils mangeaient en silence le déjeuner : polenta rôtie sur le feu, saucisses ou pancetta plantées sur un bâton de pin tenu au-dessus du feu, le gras s' égouttant sur les tranches de polenta, le tout accompagné d'un verre de vin.
Ces moments représentaient presque un rite : les scotitore se réunissaient pour se nourrir, pour se réchauffer mais surtout pour jouir d'un repos bien mérité. Après le déjeuner, seuls quelques uns remontaient  sur les pins, Roberto, infatigable et téméraire, en faisait toujours partie. Mais la fatigue, les courbatures dues à cette longue matinée de labeur se faisaient sentir... on remontait dans un ou deux pins puis chacun rentrait chez soi.

Je te vois Roberto, pédalant sur ta vieille bicyclette noire, le long de la via Aurelia, ton fagot de bois ficelé sur le porte-bagages. Tu es pressé de rentrer à Vecchiano... peut-être pour mettre la dernière touche à ton tableau, y peindre les dernières marguerites avant d'y apposer ta signature : Roberto Grossi.

Les détails de ce récit m'ont été transmis en partie par mon père, en partie par ma jeune tante Elisa qui elle-même a travaillé à la récolte des pignes et à l'usine de transformation ; mon père, ma tante et Roberto ne sont plus de ce monde.  Mon ami d'adolescence Massimo CERI, une des mémoires du vieux Vecchiano,  y a aussi grandement contribué. Merci à ces fabuleux conteurs passés et présents.

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