Lettre F : fer et fonte
Le fer et la fonte sont inscrits dans la mémoire de bons nombres de Lorrains...
Je me souviens des coulées rouges dans la nuit, sur les crassiers de Rombas que je regardais , enfant, par la fenêtre de ma chambre,
Je me souviens des cheminées des hauts-fourneaux qui émergeaient des brumes par les journées d'hiver lorsque on allait le dimanche chez mes grands parents, entre Maizières et Thionville,
Je me souviens des sirènes des usines qui rythmaient les jours et de la farandole des wagonnets surplombant la route entre Joeuf et Briey,
Les fumées âcres certains jours irritaient les gorges et, comme disait mon père, une aciérie c'est l'enfer vu par Dante - impression persistante de ses premiers mois de travail à son arrivée en France.
Oui, il était loin de la plaine Toscane, des oliveraies et de l'estuaire de l'Arno !
« Tu ne connais pas, mais
t'imagines
C'est vraiment magnifique une usine
C'est plein de
couleurs et plein de cris
C'est plein d'étincelles, surtout la
nuit
C'est vraiment dommage que les artistes
Qui font le
spectacle soient si tristes
Autrefois y avait des rigolos
Ils
ont tous fini dans un lingot
Le ciel a souvent des teintes
étranges
Le nom des patelins s'termine par "-ange"
C'est
un vieux pays pas très connu
Y a pas de touristes dans les rues
Viens, dans mon pays
Viens voir où
j'ai grandi »
Moi j'ai grandi entre vallée de la Moselle et vallée de l'Orne, mais la vallée de la Fensch de Bernard Lavilliers c'est du pareil au même.
Le fer et la fonte c'est peut-être aussi une histoire d'ADN, de mémoire familiale, en Moselle et Meurthe et Moselle plusieurs générations de mes ancêtres sont passées de la vigne, de l'agriculture à l'aciérie.
Alexandre JARRY, 1823-1876 (G 6), chauffeur de four/forgeron, arrive de la Nièvre avec sa famille à Ars sur Moselle vers 1860 pour travailler à la Société des forges Dupont et Dreyfus.
Victor MANGEOT, 1844-1896 (G 5), né dans la Meuse dans une famille d'agriculteurs, forgeron/puddleur* aux Forges de Pompey.
Auguste Florentin LAMBERTEAUX, 1846-? (G 5), d'une famille de vigneron, mouleur à L'usine métallurgique de Pont-à-Mousson.
Constant MANGEOT, 1878-1940 (G 4), ouvrier mineur, certainement à la mine de Ludres qui approvisionnait en minerai l'usine de Pompey (son père Victor y travaille).
Émile Auguste LAMBERTEAUX, 1881-1955 (mon AGP), fondeur à L'usine métallurgique de Pont-à-Mousson, puis contre-maitre aux Forges de Pompey. Il se dit dans la famille qu'il avait été "black listé" à cause de son militantisme aux débuts du syndicalisme.
René Emile LAMBERTEAUX, 1903-1982 (mon GP), mouleur dans ses jeunes années à L'usine métallurgique de Pont-à-Mousson. Après son mariage, il s'oriente vers la gestion du transport fluvial.
Quelques mots sur les métiers de la métallurgie et les sites évoqués.
Le travail du puddleur*: Dès que la fonte commence à fondre, le puddleur intervient. Son travail commence lorsqu'il constate l'apparition de petites flammes bleues sortant de la surface liquide, caractéristiques de la combustion du carbone. Il fait alors baisser la température du four en limitant le tirage de la cheminée et commence à brasser la fonte . L'ensemble des opérations « exige des efforts musculaires rudes et dans des conditions fatigantes. Il demande aussi un évident savoir-faire .
Chauffeur: autrefois, ouvrier forgeron chargé de mouvoir les soufflets, puis de remplir les fours.
Ars sur Moselle : En 1838, la découverte de minerai de fer fait naître le premier haut fourneau, véritable avènement de l'industrie arsoise. L' « usine à fers » d'Ars avec sa forge, six haut-fourneaux, trente-deux fours à puddler, des trains de laminoirs atteint deux mille ouvriers en 1869; c'est, en Lorraine, la seconde en importance après celle d'Hayange. . La société construira la cité ouvrière Saint Paul en 1858 comprenant une centaine de logements. C'est l'une des deux plus anciennes de Moselle.
Pont à Mousson : L'usine métallurgique de Pont-à-Mousson est une usine métallurgique , fondée en 1851. Une des quatre usines françaises de production de fonte dans les hauts fourneaux, elle est la propriété de Saint-Gobain, elle produit de la fonte de moulage et fabrique en série des tuyaux de fonte centrifugée, ainsi que les plaques d'égouts qui émaillent nos trottoirs.
Pompey : L'usine d'Ars sur Moselle est cédée en 1871 suite à l'annexion (Traité de Francfort); les exploitants quittent Ars alors dans l'Empire allemand et s'implantent à Pompey où ils construisent deux hauts-fourneaux. En 1888, l'usine assure la livraison des 7000 tonnes de fer puddlé de la tour Eiffel.
En 1898, la société devient société anonyme « Société des Hauts-Fourneaux, Forges et Aciéries de Pompey » .
La société a trois mille ouvriers en 1910. Les aciers de Pompey ont été utilisés dans les constructions métalliques réalisées par Gustave G.Eiffel.