Lettre R : Romualdo
Ou les destins tragiques des ANDREONI.
Je me souviens de ces sourdes explosions qui rythmaient la journée, des panaches de poussière blanche s'élevant au dessus de la colline... puis du grand silence qui planait.
J'avais une dizaine d'années et j'étais en vacances chez mes « nonni »à Vecchiano, pour me rassurer on m'avait expliqué que ces bruits provenait de la carrière d'où on extrayait la roche calcaire à coups de mines. Les années passant, je ne m'en inquiétais plus , elles faisait partie de l'ambiance sonore du village.
J'étais loin d'imaginer alors que quelques 130 ans plus tôt cette carrière avait été le théâtre d'un drame qui avait touché plusieurs membres de ma famille.
Le cave San Frediano
En 1835 Francesco ANDREONI, 45 ans est
scavatore di pietre (carrier) de même que son jeune frère de 28 ans,
Giovanni. Tous deux travaillent à la cava San Frediano de Vecchiano,
celle que je viens d'évoquer.
Le travail est pénible il y faut de la force et de l'endurance, on y extrait de la roche calcaire depuis le moyen-âge , blocs dont on fait des pierres à maçonner mais aussi de la chaux, à coups de mines des pans entiers de roche sont extraites du front de taille.
C'est un métier où les hommes ne vivent pas vieux, la poussière constante lèse les poumons, les accidents et blessures plus ou moins graves sont fréquents et s'ajoute souvent le travail aux champs à ces longues journée (les ANDREONI) sont petits propriétaires).
Le jour du drame
Le 5 mai 1835, un pan de la colline s'écrase sur les deux frères, Francesco et Giovanni sont ensevelis sous la roche et tués sur le coup.
Francesco, mon ancêtre, laisse une veuve et huit enfants. Maria Anna et quatre de ses enfants trouveront refuge chez son fils aîné déjà marié. Lui aussi travaille à la carrière en compagnie d'un autre de ses frères : Domenico, 20 ans.
Chez les ANDREONI on est scavatore de père en fils et pour preuve, un autre des fils du couple, Romualdo, prendra le même chemin quelques années après son père.
Le 5 juin 1867, âgé de 37 ans, Romualdo meurt à son tour des
suites d'une grave blessure causée par l'explosion d'une mine dans
la carrière. Il était le grand-père de ma nonna Luisa.
En l'espace de 30 ans, Maria Anna FANUCCI perdra son beau-père, un beau-frère, son mari et un fils, tous emportés par la cava di San Frediano.
La carrière sera exploitée jusqu'en 2005, date de sa fermeture définitive.
Épilogue
C'est donc sur cette colline des monts pisans que tout c'est joué, pas bien haute, 200m, et surplombant le village coincé entre cette élévation et les berges du Serchio.
Une extrémité de Vecchiano s'y terminait en cul de sac au lieu dit des « Fornace », terme qui désigne les four à chaux . Le village en redescendait le long de la via delle Cave, là où mes grands-parents vivaient . Cette rue, comme son nom l'indique mène à la carrière, elle est longue et bordées de petites maisons anciennes, étroites, à un étage, accolées les unes aux autres et doublée à l'arrière d'une ruelle d'où l'on accédait aux jardinets et cours, A quelques maisons les unes des autres, outre les « nonni » y vivaient d'autres membres de ma famille : mon plus jeune oncle, un cousin de mon père et un grand oncle. On pourrait rapprocher cette configuration d' une version Toscane de nos cités ouvrières !
Au milieu de cette rue se trouve l'église San Frediano, en feuilletant les registres d'état civil de la commune, j'ai remarqué que tous les scavatore et leurs familles vivaient dans cette paroisse et certainement pour la plus part dans ces petites maisons de la via delle cave par laquelle on accédait aux cave : les carrières.
Peut-être que Romualdo, son père et le reste de sa famille ont vécu à deux pas de chez mes grands-parents... la boucle est bouclée !