Lettre U : urgence sanitaire
Le choléra en Italie, l'épidémie de 1854 - 1855
Cela faisait des heures que je consultais les registres d'état
civil de Vecchiano à la recherche du décès de mon AAAgrand-mère,
Costantina Agata PROSPERI...
Année après année les "estrati mensuli di morti" se succédaient quand un détail m'a sauté aux yeux... 1955, tout à coup à partir de juillet le nombre des décès bondissait et augmentait de mois en mois, en août, septembre et octobre pour finalement décroître et revenir à la normale à partir de novembre.
Bon, une vérification s'imposait, San Alessandro est la plus grosse paroisse du village :
octobre 1855 : 16 décès,
octobre 1856 : 1 décès,
et c'est à l'avenant dans les autres paroisses de Vecchiano (5 au total) et sur les mêmes mois. La majorité de ces décès concernait des personnes de plus de 60 ans et encore plus d'enfants de moins de 10 ans ; tous mentionnés comme « miserabile » c'est à dire très pauvres.
Que c'était il passé ?
Un petit tour sur Google et le mystère est résolu : je suis face à ma première épidémie de choléra.
L'épidémie de 1854 - 1855
En 1854, un navire navigant de l'Inde a l'Angleterre apporte le choléra , c'est la troisième épidémie qui frappe l'Europe. De Londres la contagion arrive à Paris puis dans le sud de la France, et donc en Italie.
Les autorités génoises ne prennent pas la peine d'informer rapidement de la présence du choléra les autres États italiens et la contagion se propage sur la côte de Ligure et tyrrhénienne, à Naples, Palerme et même en Sardaigne.
En Décembre 1854 l'épidémie semble s'éteindre, mais de très fortes pluies font déborder l'Arno et le Serchio contribuant à une nouvelle propagation du choléra, Florence, et une grande partie de l'Italie centrale et du Nord sont à nouveau touchées.
En 1855, l'épidémie s'étend au pays tout entier, y compris les îles. L'apogée de la pandémie aura lieu en 1855, causant en un peu plus d'un an, 30 000 morts sur une population d'environ 20 millions de personnes.
La choléra : contagion et transmission
Le choléra est une infection bactérienne de l'intestin grêle qui peut provoquer une diarrhée aiguë et une déshydratation intense, il dure habituellement de 3 à 6 jours, mais s'il n'est pas traité, il peut mener à un état de choc dû à la déshydratation, à une insuffisance rénale, au coma et à la mort.
La contagion était favorisée par la malpropreté, une
alimentation insuffisante et de mauvaise qualité, l'insalubrité
de logements trop petits à l ' air confiné. Les inondations accroissent les
risques en réduisant la disponibilité d'eau propre.
Quant à
la transmission, elle est favorisée par le défaut de précautions
et de soins pour se préserver de la contagion : l'affluence des
individus dans les chambres où se trouvaient les malades, les
inhumations tardives et le grand nombre d'individus qui venaient
veiller les morts et séjourner près d'eux.
Qui est touché ?
Dans les différentes localités atteintes, les victimes appartenaient presque toutes à la classe pauvre, de très rares cas ont été observés parmi les personnes aisées, et, parmi ces dernières, celles qui ont été frappées ont presque toutes guéri.
Toutes les hausses du nombre des décès supérieures à 50 %, à partir de 1836, sont imputables au choléra, la létalité est très grande pour les personnes âgées et les enfants, et moins importante pour les autres. Entre la moitié et les deux tiers des personnes atteintes mourront. Ces chiffres donnent la mesure de l'énorme gravité de la maladie.
Le choléra à Vecchiano
Quand, à l'été 1855, le choléra fait son apparition à Vecchiano (grand duché de Toscane) pourtant en zone rurale, il trouve la population sans défense. La lutte contre "l'ennemi invisible" était vaine car la science médicale de l'époque ignorait les modalités de transmission de la maladie.
C'est ainsi que mon ancêtre Costantina Agata PROSPERI mourra le 13 octobre 1855 à l'âge de 50 ans en plein pic épidémique. Elle avait été précédée dans la mort par son neveu de 2 mois, le fils de Luigi son beau-frère, mort le 2 août 1855.
Voici ce que le censimento de 1841 nous dit de cette famille :
Casa n° 115, famille misérable :
- Pietro, 46 ans, travailleur (operante en opposition à chômeur))
- Costantina, sa femme, 36 ans, femme au foyer
- Maria Semira, 10 ans, fille
- Gaspero, 8 ans, fils
- Odoardo, 4 ans, fils
- Agata, 10 mois,sa fille
- Luigi, frère de Pietro, 36 ans, tintore di pannina (teinturier)
- Berga, épouse de Luigi, 29 ans, femme au foyer
- Antonia, 5ans, fille de Luigi x Berga
- Filomena, 2 ans, idem
- Maria Berenice, 9 mois, idem
- Teresa, 9ans, fille de Luigi
- Carlotta, 41 ans, travailleuse, sœur de Pietro et Luigi, célibataire.
Quatorze personnes vivent donc dans cette maison, certainement exiguë et dans des conditions d' extrême pauvreté, entourées de grandes zones marécageuses. Quand survient l'épidémie de choléra en 1955, 14 ans ont passé et certains enfants ont certainement quitté la cellule familiale, alors que pour d'autres époux, épouse et petits enfants sont venus s'y greffer. Ce qui est certain, c'est que leurs conditions de vie ne se sont pas améliorées : pauvreté, mal nutrition et promiscuité forment un terreau plus que favorable pour le choléra, il est même étonnant que seul deux décès soient survenus durant l'épidémie.
Peut-être que d'autres décès m'ont échappé, mais Pietro MENCACCI, le mari de Costantina lui, mourra plus tard, entre 1859 et 1869.
Des quatre enfants du couple, voici ce qu'il advint :
- Maria
Semira se mariera en 1853 et aura cinq enfants, dont le père de ma
grand-mère Luisa,
- Odoardo convolera à son tour en 1859,
- Gaspero m'échappe
- et la petite Agata mourra peu de temps après le censimento, en 1841.
Les autres épidémies de choléra en Italie
En pratique, en Italie il y eut trois épidémies très
importantes par leur violence et leur diffusion :
la première en
1835-1837,
celle de 1855
et celle de 1867.
Le monde a connu en tout sept pandémies de choléra à partir de 1817, la dernière étant toujours active hors d'Europe.